Quelque part entre l'indéboulonnable esprit luxueux de la marque et un nouveau penchant pour les designs plus incisifs, l'Aston Martin V8 fut la réponse britannique à l'engouement général pour les muscle-cars.
L'AM V8 (de son petit nom) vit officiellement le jour en 1972. Vue comme une suite logique à la DBS V8 de 1969, cette voiture de grand tourisme marqua un volet plus acéré et plus extraverti dans l'historique du design d'Aston Martin. Bien sûr, ses lignes raides et ses larges épaules loin du look débonnaire et rondouillard de la DB6 n'avaient rien de nouveau. Pourtant, la DBS V8 puis la véritable V8 marquèrent un vent de progrès et d'avancée technologique pour Aston Martin ! Cet interlude un peu moins "British" pour certains, constitua néanmoins le porte-étendard et le principal pourvoyeur de fonds pour la marque au crépuscule du 20ème siècle. Avec plus de 3600 exemplaires produits, l'AM V8 et ses cinq générations devinrent ainsi le best-seller du constructeur jusqu'à la mise sur roues de sa cadette, à savoir la DB7 de 1995.
Plus musclée ou non, l'Aston Martin V8 resta digne du faste à l'anglaise. Elle fut principalement fabriquée dans les usines de Newport Pagnell et assemblée à la main pendant plus de 1200 heures pour lui offrir cette qualité de finition personnelle et chamarrée à bord de laquelle on s'imagine toujours aussi bien prendre le thé. Sur la route, l'AM V8 n'en restait pas moins vive et criante de caractère ! Un certain Bond, James Bond, l'eut même utilisée pour quelques séances de sports d'hiver dans l'opus Tuer n'est pas jouer de 1987.
Voici donc l'histoire de l'Aston Martin V8 : l'Anglaise culte dans ses années "musclées".
À la fin des années 60, l'élégance vintage de l'Aston Martin DB6 semblait avoir fait son temps. Imprégné du vent de nouveauté qui soufflait outre-Atlantique, le constructeur se décida à revoir sa copie pour créer un nouveau modèle plus imposant et plus moderne. La nouvelle DBS et sa ligne coupée étirée vit alors le jour en 1967, animée par le même moteur 6 cylindres en ligne que la DB6 Vantage. Une simple mise à jour esthétique ? Oui, mais pas des moindres ! Plus aiguisée, plus intimidante, la DBS revisita avec succès le design traditionnel d'Aston Martin tout en adoptant une allure qui s'ancrera pleinement dans l'esprit automobile global des deux prochaines décennies. Ne manquait alors plus qu'un petit lifting sous le capot !
Ce dernier coup de pinceau arriva dès 1969 avec l'arrivée du moteur V8 5,3 L de l'ingénieur Tadek Marek. Plus cher, mais plus performant, ce bloc de 315 ch permettant d'abattre le 0 à 100 km/h en 7,1 secondes paracheva l'élan véloce et vorace de cette DB plus musclée. Si bien que lorsque le vieux 6 cylindres éculé prit finalement sa retraite en 1972, la DBS rendit un ultime honneur à son nouveau moteur en devenant la véritable Aston Martin V8.
Née des cendres encore chaudes de la DBS V8, la première "véritable" Aston Martin V8 fut ensuite considérée comme une seconde génération officieuse. En effet, peu de changements opérèrent hormis de discrètes modifications esthétiques. Les premières dizaines d'entre elles restèrent même badgée "DBS". De l'extérieur, une AM V8 ne se distinguait alors que par sa calandre noire et ses phares avants réduits au nombre de deux. Néanmoins, ce timide restylage n'était en rien un simple coup de communication !
À l'intérieur, les carburateurs furent remerciés au profit d'un tout nouveau système d'injection Bosch. Hélas, Aston Martin ne parvint pas à tirer parti de cette technologie. Du moins pas assez pour passer sous les radars du contrôle antipollution américain ! Un an et 288 exemplaires plus tard, l'Aston Martin V8 Série 2 céda sa place à un retour aux sources.
De retour en trombe avec de nouveaux carburateurs Weber, l'Aston Martin V8 recula pour rebondir à une très honorable puissance de 310 ch. Elle gagna en agressivité avec son évent plus large sur le capot, et même en endurance grâce son plus grand réservoir. Malheureusement, de plus sévères contrôles sur les émissions continuèrent à lui mettre des bâtons dans les jantes ! Bridée à 288 ch dès 1976, il fallut attendre l'année suivante pour retrouver de sa superbe grâce à son nouveau moteur "Stage 1" de 305 ch muni d'un arbre à cames plus précis et plus performant.
1977 fut l'heure d'un nouveau souffle et de nouveaux records pour l'Aston Martin V8. En dépit d'une production interrompue durant toute l'année 1975, le constructeur préparait son futur coup de maître avec la version Vantage de 380 ch. Ce modèle encore iconique aujourd'hui plaça l'Aston Martin V8 Vantage au rang de "première supercar britannique" et se fit une place enviable parmi les voitures de série les plus rapides du monde. Avec ni plus ni moins qu'une vitesse de pointe de 275 km/h et un 0 à 100 km/h chronométré sous la barre fatidique des cinq secondes, l'Anglaise côtoyait les crèmes de son époque !
En 1978, l'inspiration de l'Aston Martin V8 commença à se perdre dans la poussière que la Vantage a soulevée. La nouvelle Série 4 "Oscar India" présentée au salon de Birmingham proposait un restylage léger se résumant à un becquet arrière, une prise d'air avant obstruée et de nouveaux projecteurs. Au total, seuls quelques 352 exemplaires furent produits. Son embourgeoisement intérieur et son unique transmission automatique n'ont pas suffi à faire jaser…
Finalement, "vendre plus de pièces en utilisant moins de tôle" fut la stratégie gagnante ! En 1978 sortait ainsi la version convertible Volante de l'Aston Martin V8. En dépit des 70 kilos d'embonpoint qu'elle gagna pour rigidifier sa structure à trois murs, la V8 Volante trouva son public et constitua très vite la quasi-totalité des commandes.
À l'approche du rupteur, l'Aston Martin Série 5 connut de nouveaux injecteurs électroniques ainsi que sa dernière heure. Cette ultime déclinaison fut écoulée à 405 exemplaires, et le caractère insipide de sa version Zagato "designed in Italy" finit enfin par laisser l'Aston Martin V8 exsangue.
En bout de route, l'Aston Martin V8 resta une parenthèse esthétique aussi durable qu'unique dans l'univers de la GT britannique. Sa ligne musclée reviendra peu à peu à des inspirations plus sophistiquées et plus arrondies dès l'arrivée de la Virage des années 90. Mais face à cette calandre béante prête à engloutir l'asphalte que partagent les derniers modèles, on croit volontiers que l'AM V8 n'est pas partie sans laisser un héritage.