1967 signa l'entrée dans l'adolescence pour l'écurie Aston Martin. Avec la nouvelle DBS, la luxueuse GT anglaise ouvrit une parenthèse durant laquelle le design rond et élégant des DB passées céda sa place à une riposte "made in UK" au succès des muscle-cars. Ce renouveau esthétique perdura plusieurs décennies et devint plus qu'un best-seller ! La génération Aston Martin V8 marqua en effet une période de transition et d'expérimentation vers une ère de modernité où le constructeur put auréoler son nom d'une aura de performance, de technologie et d'ambition.
Pourtant, cette parenthèse qui finit par imprégner tout l'univers esthétique et mécanique des Aston Martin contemporaines ne s'est pas construite en un jour.
Si la DBS de 1967 marqua la mise sur roue de cette Aston Martin plus large, plus agressive et plus étirée, le véritable modèle "V8" vit le jour en 1972 lorsque le V8 5,3L conçu par Tadek Marek devint le seul moteur disponible pour la gamme. L'Aston Martin V8 connut pas moins de cinq générations s'étirant jusqu'à l'aube des années 90. D'abord ambitieuse, elle tenta de remplacer ses carburateurs pour un système d'injection. Une ambition infructueuse puisque le manque de maîtrise de cette technologie encore balbutiante poussa Aston Martin à revenir aux carburateurs dès la Série 3 de 1973. Un échec ? Non ! Car pas plus tard qu'en 1977, dans cette même série, la version Vantage défraya la chronique.
L'Aston Martin V8 que l'Histoire a retenu, c'est la Vantage 77 et son moteur Stage 2 de 380ch qui propulsa le modèle au rang de "première supercar britannique". Une inestimable démonstration technique qui a nécessité un lourd travail sur son arbre à cames, son taux de compression ou encore ses carburateurs. De 0 à 100km/h en 5,3 secondes, la V8 Vantage (ainsi que la future version cabriolet Vantage Volante) tenait là une véritable prouesse. Une prouesse, qui même dix ans plus tard suffit à la faire remarquer dans le 15ème opus des aventures du plus célèbre espion anglais : Tuer n'est pas Jouer de John Glen avec Timothy Dalton pour la première fois dans la peau de James Bond.
Nous sommes en 1987. Ash relie ses versets favoris du Necronomicon, Patrick Swayze danse lascivement et Danny Glover est déjà trop vieux pour ces conneries. Outre-Manche, 1987 fut surtout l'année où la série cinématographique James Bond souffla sa 25ème bougie !
Alors qu'Aston Martin était encore bien loin de l'incontournable pourvoyeur de bolides que l'Agent 007 connait aujourd'hui, l'ombre de la très populaire DB5 de Goldfinger et d'Opération Tonnerre planait sur la saga. En dépit du succès des Lotus Esprit choisies pour L'Espion qui m'Aimait et Rien que pour vos Yeux, la production de Tuer n'est pas Jouer campa finalement sur son envie de renouer avec le constructeur de Tickford Street. Après un rapprochement in extremis, il fut finalement décidé que les futures pérégrinations de James Bond en terres bolcheviques se dérouleront au volant d'une Aston Martin V8 Vantage…
Dès les premières scènes du film, James Bond conduit une V8 Vantage Volante (cabriolet) qui n'est pas encore passée entre les mains de la Section Q, mais qui pourtant n'a rien d'anodine !
Ce modèle roulant parfaitement dans son jus n'était ni plus ni moins que l'exemplaire personnel de Victor Gauntlett, le grand patron d'Aston Martin Lagonda. Pour ce généreux prêt, la production lui offrit un petit rôle dans les bottes d'un colonel du KGB qu'il ne put malheureusement pas honorer faute de temps. Pas de caméo ? Pas grave ! L'apparition de la V8 Volante fit au moins office d'étonnant teaser, puisque cette version dotée du moteur Vantage était en réalité une présérie exclusive indisponible en concession. Un joli coup d'éclat sans trucage ! Le reste, c'est du cinéma.
En plein boum de popularité lors du tournage, l'Aston Martin V8 imposait encore des délais de fabrication et de livraison abyssaux. La production n'eut alors d'autre choix que de se tourner vers le marché de l'occasion pour donner les premiers tours de manivelle !
Dans Tuer n'est pas Jouer, la Section Q voulait nous faire croire à l'impossible en transformant la Volante d'introduction en un coupé "hardtop" plus adéquat face au climat tchécoslovaque. Pourtant, derrière le quatrième mur, il s'agissait en réalité de trois authentiques V8 Oscar India (Série 4) classiques maquillées en Vantage Volante. L'une de ces voitures d'occasion fut utilisée telle quelle pour les plans avec James Bond à son bord. La seconde devint la voiture "cascades", et la troisième accueillit toutes les installations nécessaires pour faire apparaître et animer les gadgets à l'écran.
Le long métrage requit au total onze Aston Martin V8. La magie du montage et du maquillage aidant, huit d'entre elles n'étaient que des doublures en fibre de verre ou de simples châssis sur roues. Une nécessité d'autant plus indispensable que la mythique scène de poursuite en montagne fut en réalité tournée en Autriche, en plein hiver et par -30°C. Le froid mordant perturba alors bon nombre de gadgets nécessaires aux cascades, notamment le propulseur qui devait aider l'Aston Martin V8 à se lancer par-dessus une innocente cabane en bois.
S'il ne fut finalement qu'une petite pierre ajoutée à l'édifice de la saga James Bond, Tuer n'est pas Jouer marqua le renouveau officieux de la collaboration entre l'agent secret et Aston Martin. De GoldenEye à Mourir peut Attendre, le constructeur anglais a par la suite fait de ses voitures des partenaires récurrentes au point d'être aujourd'hui considérées comme indissociables de Monsieur Bond et ce, malgré l'incursion momentanée de BMW le temps de trois films. Hommage sera d'ailleurs rendu à l'Aston Martin V8 qui fait son grand retour à l'écran en 2021 dans le dernier épisode de la saga.