L'Esprit S1 est la toute première née d'une gamme de voitures sportives deux places du constructeur britannique Lotus. Elle est le fruit de l'imagination du designer italien Giorgetto Giugiaro, déjà à l'origine de modèles Ferrari, Mazda ou Maserati.
L'Esprit était née pour ne pas passer inaperçue ! Surfant sur les victoires de Lotus en Formule 1, le concepteur star d'ItalDesign eut ainsi l'idée de ressusciter son concept de Maserati Boomerang en créant une Lotus Esprit résolument performante, visuellement futuriste et marquante.
La fabrication démarra dès 1972, mais ce n'est qu'au Mondial de l'Automobile de Paris 1975 que la première Esprit S1 se dévoila au public, signant par la même occasion le début de l'une des plus longues carrières du sport automobile. Car si l'Esprit S1 ne perdura que de 1976 à 1978, sa philosophie, elle, ne connut pas moins de 24 versions et fit rêver les foules pendant presque 30 ans.
L'allure avant-gardiste de la Lotus Esprit a contribué à faire d'elle une icône à travers les générations. Avec ses arêtes saillantes et son allure à mi-chemin entre l'origami et la fusée, elle a alors pu évoluer tout en se permettant de toujours rester fidèle à son look d'origine. Voilà l'avantage de créer sa propre mode ! Mais ses airs de missile pourfendant les routes témoignaient aussi d'une véritable philosophie : la sportivité.
La Lotus Esprit fut conçue pour être légère, aérodynamique, précise, "solide sur ses appuis" ! Son petit moteur arrière Lotus 907 de 4 cylindres pouvait ainsi libérer 160 ch avec seulement 1,9 L de cylindrée et moins d'une tonne à propulser. Un modèle d'efficience hors-norme capable de concurrencer les gros moteurs les plus nobles, mais aussi une parfaite machine alliant séduction et sensations.
En 1977, il ne lui manquait alors plus que le coup de volant d'un espion pour que tout le monde se
mette à l'aimer…
Nous sommes en 1977, il y a du grabuge dans une galaxie très lointaine, Richard Dreyfuss rencontre de drôles de types, et Travolta a de la fièvre. Mais 1977, ce fut aussi l'année où Roger Moore renouvela pour la troisième fois son permis de tuer à l'occasion du 10ème opus de la saga James Bond : l'Espion qui m'aimait de Lewis Gilbert.
À cette époque, Lotus aussi espionnait les tendances du marché et imaginait bien le plus célèbre des Anglais au volant de l'Esprit S1. Conscient du retour sur investissement que pourrait provoquer l'apparition de leur nouveau bolide à l'écran, Lotus décida de garer une Esprit S1 sur le parking du studio londonien en espérant la faire remarquer pour le tournage du prochain film. Et ce fut le cas !
Le coup de poker de Lotus pour que le producteur Albert Broccoli adopte l'Esprit S1 porta ses fruits. Encore loin d'être associée à Aston Martin, la production de l'agent Bond fut séduite par cette nouvelle Lotus encore en présérie et engagea ainsi un partenariat. Cette voiture futuriste était la candidate toute trouvée pour le projet !
Deux Esprit S1 homologuées furent livrées pour les besoins du tournage. Loin d'abuser du maquillage, ces S1 roulantes n'eurent besoin que d'une minime modification visant à protéger leurs radiateurs des rudesses de la Costa Smeralda sarde et de ses chemins accidentés.
Heureusement pour Lotus, et malheureusement pour les cascadeurs du film laissés sur le banc, l'Esprit S1 dépassa les attentes en matière de tenue de route lors des scènes de poursuite. Pour en tirer le meilleur spectacle, la production décida alors de laisser le volant au pilote d'essai maison de Lotus, un certain Becker, Roger Becker.
Bien sûr, on ne fait pas un James Bond sans un minimum d'effets spéciaux et de tôle froissée. Ainsi six carrosseries Esprit vides vinrent agrandir l'arsenal de l'équipe de tournage pour réaliser les plus spectaculaires trucages du film. Des trucages, de ceux qui touchent le fond pour atteindre des sommets !
Bien avant Doc et Marty, l'Esprit S1 n'avait pas besoin de route pour émerveiller et si la Lotus de l'agent 007 était capable de se transformer en sous-marin de poche, ce trucage ne se fit pas sans rien.
L'Esprit S1 option "sous-marin" (aussi surnommée Wet Nellie en hommage à l'autogire du film On ne vit que deux fois) fut créée sur mesure par l'entreprise floridienne Perry Oceanographic, Inc. pour la bagatelle de 100 000$ de l'époque. Basé sur l'une des carrosseries fournies par Lotus, ce véritable sous-marin déguisé en voiture fonctionnait avec un équipage de deux techniciens ainsi que quatre moteurs électriques uniquement capables d'aller en marche avant. Il s'agissait d'un sous-marin "humide" non étanche avec une simple plateforme à l'intérieur pour accueillir les plongeurs. Bien loin du luxe high-tech que l'on voyait à l'écran... D'ailleurs, les ailettes qui remplaçaient les roues lors de la transformation n'étaient pas qu'une excentricité artistique, c'était aussi une réelle nécessité pour éviter à la Lotus Esprit de couler. Une sportive collée au sol, même sans sol !
Entre les plans sous-marins et les plans sur terre, la production utilisa les autres carrosseries d'Esprit S1 pour les changer en voitures factices destinées à être propulsées dans l'eau par un canon, ou tractées sur la plage à l'aide d'un câble caché dans le sable. Mission '"illusion" accomplie !
Côté Lotus, le succès du film eut largement l'effet escompté. Le public encore à deux doigts de boire la tasse éleva l'Esprit S1 au rang d'icône, si bien que la durée d'attente pour se procurer son propre exemplaire atteignit trois ans !
Lotus réitérera l'expérience quatre ans plus tard, en remettant les versions S3 et S3 Turbo de son Esprit entre les mains de l'agent 007 dans Rien que pour vos yeux.
Concernant Wet Nelli, elle sombra dans l'oubli après sa dernière tournée promotionnelle et fut perdue pendant dix ans dans une unité de stockage new-yorkaise. Ce n'est qu'en 1989 qu'un acheteur au nez résolument creux eut la bonne surprise d'acquérir ledit stockage aux enchères pour une centaine de dollars, sans savoir ce qu'il renfermait ! Jusqu'en 2013, l'heureux propriétaire de ce trésor enfoui restaura et exposa la Wet Nellie avant de la céder une nouvelle fois aux enchères pour 550 000£.
Aujourd'hui, l'excentrique Elon Musk possède l'Esprit sous-marine et espère briser le quatrième mur en la rendant véritablement convertible. Entre deux satellisations de Tesla, il devrait y parvenir !